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ALEKSANDR POPOLITOV
Avez-vous la nationalité russe ?
En fait j’ai des origines tziganes. Mon arrière grand-père était nomade. Ma mère était cosaque du Don, son mari était russe. Mais comme je pense en russe, cela signifie que je suis russe. En ce qui concerne la culture estonienne, je la connais mieux que la plupart des Estoniens. Mais j’ai des origines russes et mon environnement à Sillamäe est russe, ce qui est une caractéristique particulière de Sillamäe. Sillamäe est située entre Tallinn et Saint Pétersbourg, ses habitants vont à Leningrad pour la culture, et seulement parfois à Tallinn.
Etes-vous né ici ?
Non, je suis né à Leningrad. Quand j’avais 1 an nous sommes partis à Toila, puis Kurtna et enfin Sillamäe.
Vos parents travaillaient-ils à l’usine ?
J’avais seulement ma mère, mon père est mort pendant la guerre. Ma mère n’avait pas reçu d’éducation, elle travaillait donc comme femme de ménage. Elle est venue ici avec trois enfants parce qu’il était plus facile de survivre en Estonie qu’en Russie après la guerre.
Quelle éducation avez-vous reçu ?
Je suis artiste, j’ai étudié à l’école d’art d’Obramtsevo, près de Moscou. Je travaillais dans ce qu’on appelait le Groupe d’Esthétique Industrielle à l’usine. Nous étions impliqués dans l’aspect esthétique de la ville entière.
Comment avez-vous commencé à travailler au musée ?
J’étais intéressé par l’histoire, par les vieilles peintures russes, par les collections d’icônes. Quand je suis arrivé ici j’ai appris qu’il y avait une église orthodoxe et j’ai commencé à rechercher où toutes ses icônes avaient disparu, j’ai donc commencé à faire des recherches non seulement sur l’histoire de Sillamäe, mais sur la région entière. Et il s’est avéré que ce loisir est devenu ma profession, et je suis entré plus tard à la faculté d’histoire de l’art de Leningrad.
IGOR LUKYANOV
Igor Lukyanov est artiste, et membre du collectif d’artistes “April“
Etes-vous né ici ?
Non, je suis né en Sibérie et je suis venu ici en tant qu’étudiant, il y a 18 ans. Je faisais des études de costumier. Ma femme et moi sommes venus à Tallinn en excursion pendant les vacances d’hiver. Et nous sommes venus dans cette ville par hasard. Bien qu’elle soit fermée, elle nous paraissait intéressante, magnétique, et après avoir obtenu mon diplôme, nous sommes venus ici.
Et comment êtes-vous entré, si la ville était fermée ?
Très simple. Personne ne se tenait à l’entrée sur les mitrailleuses, il y avait juste un signe disant que la vile était fermée.
Quand êtes-vous arrivés ?
En 1981. Les parents de ma femme sont arrivés en premier. Les choses se passaient de telle sorte que les connaissances amenaient des connaissances et la famille amenait de la famille avec eux. Il fallait obtenir une permission, un département spécial enquêtait sur nous. L’art russe était principalement du réalisme, de l’académisme, et du social-réalisme. En Estonie, c’était plus avant-gardiste, c’était près de l’Europe. Tout était ouvert ici, l’art était libre, nous aimions ça. Et en Estonie, à notre surprise, il y avait un petit îlot russe, où seuls des Russes habitaient, où il n’y avait pas d’estoniens. Et il y avait tout ce qu’il faut dans les magasins, un petit coin de paradis.
un petit îlot russe, où seuls des Russes habitaient, où il n’y avait pas d’estoniens et il y avait tout ce qu’il faut dans les magasins, un petit coin de paradis.
Qu’est ce que cela faisait de vivre dans une ville close ?
Maintenant il est difficile de se rappeler que durant l’époque de Staline, la ville n’avait même pas de nom, juste un numéro. Même mon père avait peur de la ville close et quand il venait nous visiter, il passait directement de l’arrêt de bus à la milice, il voulait se rendre. Mais les miliciens lui disaient : “Allez-y, allez-y ! “ . Sans aucun document.
Pouviez-vous vous déplacer librement ?
En Estonie ? J’étais surpris que les gens du coin le fassent tout le temps. Chaque week-end, ils se rendaient en voiture dans de petites villes estoniennes - Jõhvi, Narva- parce qu’il y avait tout dans les magasins estoniens. Et même s’il y avait aussi tout ici, les gens aimaient ça.
quelque part au milieu, ni ici, ni là-bas
Quelle est votre nationalité ?
Je suis russe, mais mon passeport est gris. Je voudrais avoir la citoyenneté, mais ils ne me la donnent pas. Je n’ai ni le temps ni l’argent maintenant pour étudier la langue estonienne. Je suis professeur et offre tout mon temps libre à mes élèves. Et il y a aussi la politique de l’Etat –s’ils organisaient des cours de langue gratuits, cela résoudrait le problème. Il y a de l’argent, qui devrait être utilisé directement pour enseigner à des gens comme moi.
Et que pensez-vous, votre mère patrie est-elle en Sibérie ou ici ?
Maintenant mes racines sont ici. Je peux juste réaliser avec tristesse que je ne suis pas accepté en tant qu’Estonien, mais que je ne suis plus russe non plus. Et la culture estonienne n’est pas accessible à Sillamäe. C’est pour cela qu’ils sont quelque part au milieu, ni ici ni là-bas, ils ne connaissent pas les traditions. C’est impossible d’apprendre profondément la culture russe en Estonie, à Sillamäe. Et les enfants ne sont pas aussi appliqués maintenant, les temps ont changés, il faut apprendre vite, en prenant un peu de tout.
KRISTINA LAHT
Kristina travaille au musée de la ville de Sillamäe
Je suis née à Alma Ata, au Kazakhstan. Mon père était dans l’armée, il a été envoyé ici pour le travail. Nous sommes arrivés en 1991, l’Estonie était déjà redevenue indépendante.
Parlez-vous les deux langues ?
Non, je ne parle pas kazakh.
Et l’estonien ?
Non plus.
Que pensez-vous de cette ville ?
Ça va…Mais avant c’était très difficile pour moi. D’abord, je vivais dans une société musulmane où tout était différent. En plus, Alma Ata est une très grande ville, donc pour moi c‘était comme s’il n’y avait que trois maisons ici à Sillamäe. Et même si des Russes vivaient ici, ils avaient l’air plus réservés que dans l’Est.
Aimeriez-vous retourner au Kazakhstan ?
Je ne veux pas y vivre. Mais j’aimerais bien y aller et voir ce qui s’y passe. Selon les nouvelles les plus récentes, il n’y a rien à y faire. C’est très difficile de vivre au Kazakhstan.
Qu’est-ce que fait votre mari ?
Il est sauveteur. Nous avons trois filles, la plus grande va à l’école estonienne, la deuxième au jardin d’enfants estonien. La plus petite va encore au jardin d’enfants russe, mais quand elle aura trois ans, elle ira elle aussi au jardin d’enfants estonien. Les deux plus grandes parlent déjà mi-russe, mi-estonien, même à la maison. Elles sont bilingues.
Pourquoi avoir choisi de les mettre dans une école estonienne ?
Pour qu’elle aient moins de problèmes que moi, par exemple. Quand les enfants sont petits, c’est plus facile pour eux de retenir les informations, d’apprendre les langues. Mais à l ‘école estonienne ils n’apprennent le russe qu’à partir de la sixième année. J’ai appris à lire et écrire en russe à ma fille moi-même.
Est-ce que c’est un problème d’avoir une double nationalité, ou est-ce une chance d’avoir plus d’opportunités ?
Bien sûr cela ouvre plus d’opportunités. J’apprends aussi l’estonien avec elles lorsque nous faisons les devoirs.
AALA GITT
Je suis de Kärdla, de l’île de Hiiumaa. Il fut un temps où j’avais abandonné l’idée de revoir ma ville de naissance.
Et puis les frontières se sont ouvertes, les deux villes étaient proches à nouveau, l’une à l’Ouest de l’Estonie, l’autre à l’Ouest.
Quand êtes-vous venue ici ?
En 1967 ou 1969, j’avais 15 ans. Nous habitions le sud de l’Estonie Mon père était un officiel du Parti et a été transféré à Sillamäe.
Etait-il estonien ?
Oui.
Comment communiquiez-vous avec les gens ici ?
C’est une histoire différente, compliquée et assez privée. Ils ne donnaient jamais de hautes responsabilités aux Estoniens pendant la période soviétique. Mais il y avait des choses étranges concernant mon père. La première était son nom qui avait été changé après la guerre. Mon nom n’est pas Gitt, mais Hütt. Mais c’était la guerre, les erreurs étaient fréquentes et il a abandonné l’espoir de retrouver son nom. Maintenant je fais juste des suppositions pour comprendre pourquoi il était secrétaire du Parti et pourquoi, à Sillamäe, il devint instantanément chef de la police de sécurité à l’usine. C’était l’un des seuls, si ce n’est le seul Estonien là-bas. Maintenant qu’il est mort et qu’ils ont commencé à persécuter les employés du KGB, j’ai juste des doutes. Il n’a jamais rien dit à la maison, parce que moins tu en sais, plus tu as de chances de rester en vie. Il a libéré Narva, il était dans le corps d’infanterie de l’armée rouge, et avant, il avait passé du temps dans Leningrad assiégé.
Quel genre de relation avez-vous avec la ville ? Est-ce qu’elle a beaucoup changé pour vous ?
J’aime beaucoup cette ville. Je ne peux simplement pas comprendre et me dispute toujours avec les gens qui disent que quelque chose ne va pas ici. Je ne sais pas comment ça se fait, mais les jeunes veulent toujours partir pour un autre endroit. Je peux aller ici et là, mais ma maison restera toujours à Sillamäe.
ELVI TABOR
Vous ne regrettez pas d’être venu ici ?
Parfois je regrette de ne pas avoir travaillé auprès des mes compatriotes, mais maintenant que je suis à la retraite, les élèves ont grandi, et leurs enfants ont déjà été dans mon école. Cela ne devrait me prendre qu’un quart d’heure pour rentrer à la maison, mais cela dure une heure, parce que je rencontre des gens, les parents me montrent des photos, surtout les parents d’enfants russes. Je ne le regrette pas du tout parce que cela m’a ouvert l’esprit, je ne suis pas une patriote provinciale parce que Saint Pétersbourg était proche.
Pourquoi êtes-vous parti ?
Je suis née sur l’île d’Hiiumaa, j’avais décidé qu’une fois à la retraite, je retournerais chez moi. À chaque fois que je reviens dans cette ville, c’est comme si je revenais à la maison parce que j’étais une sorte de pionnière qui a commencé à apprendre l’estonien aux enfants russes. Les Estoniens à Sillamäe sont très tolérants envers les autres nationalités; ce qui est rare. Et c’est comme ça que sont les Russes envers les Estoniens. Est-ce aux gens ordinaires de se disputer ? Laissons les politiciens se disputer. Un ami de mon fils a dit un jour qu’un Estonien a Narva est assez rare, mais à Sillamäe c’est un souvenir.